
Le souvenir est intact. Une collègue ayant récemment accouché avait envoyé au bureau une petite carte ainsi qu'une photo de son bébé. Le tout était épinglé sur notre babillard. Attirée par la perspective d'une mignonne photo de bébé - j'étais aussi en phase "On en a un autre tout de suite ou pas?" - je me suis levée pour aller admirer la progéniture.
Brrrrrr!
Involontairement, j'ai reculé d'un pas. Immédiatement.
- Voyons, Nadine, me suis-je raisonnée. T'as mal vu! Recommence!
Timidement, je me ravancé. Prudemment. En fixant bien le haut de l'interminable front du poupon.
Même réaction. Brrrrrr!
J'ai craché le morceau: "Mon Dieu qu'il est laid!". Ok, j'étais seule dans le bureau. Mais ça soulage de ne pas garder cette révélation au fond de soi.
Laid. Frippé, maigrichon, mal photographié, un ensemble vert fade, un air de p'tit vieux et j'en passe. Et surtout, un grande question m'envahissait: "Était-ce vraiment la plus belle photo que les parents avaient de l'enfant?". C'était désolant. Et j'ai eu une maigre pensée pour la mère, probablement déjà en post-partum, avec un bébé si peu flatteur.
Non, mais c'est vrai. Quand on envoit les cartes de remerciement (après de longs mois, mais surtout avant que notre enfant ne marche, par crainte de passer pour une profiteuse qui ne daigne même pas remercier ceux qui ont célébré l'arrivée de notre héritier!), on choisit la plus belle photo de notre enfant. Celle dont on est le plus fière. Pas celle où il a l'air d'un pichou. Au pire, s'il est trop maigrichon, la peau toute plissée ou encore recouverte de l'affreux acné du nourrisson (ouache!!), on attend quelques semaines (mois?) pour envoyer nos remerciements. C'est la trace qui reste partout où on l'envoie et on n'est même pas là pour plaider en sa faveur. Même chose pour ceux qui envoient et paient pour mettre la photo de leur enfant dans le Cahier des bébés. De grâce, choisissez une photo qui a de l'allure. Chaque année, je dévisage une bonne dizaine d'enfants en me disant que ça doit être la photo qui ne les avantage pas et qu'ils ne peuvent pas être vraiment aussi laids!
Ayant travaillé au Salon Maternité Paternité Enfants quelques années, j'ai aussi eu droit au défilement des parents trop fiers qui sont prêts à tout pour "parader" avec leurs bébés. Et dans le lot, force est de constater qu'il y a des bébés laids. Beaucoup. Et au risque de plagier Patrick Huard, on est mieux de "fermer sa gueule" devant un bébé qui nous laisse de glace. Sauf quand on s'est pris, nous-même, dans notre piège.
Anecdote? Je suis du genre à m'extasier sur les minuscules pyjamas de couleurs pimpantes (orangé, vert lime, aqua, etc.). Sans me douter, je me penche sur une poussette d'où gigotaient des petites jambes aux innombrables rayures. Je n'avais pas appris ma leçon, encore, je suppose. Avant même d'apercevoir le minois de l'enfant, j'accroche une collègue et lui dit:
- "Ohh! Viens voir........"
Au même moment où j'allais dire "le beau ti-bébé", je découvre le-dit bébé.
- "euhhhhh le beau jouet qui s'accroche sur le siège. C'est-tu beau, hein? Je n'avais pas cela moi quand j'ai eu MissLulus...".
Quand on se raccroche à la splendeur du hochet pour éviter d'aborder la supposée beauté du bébé, c'est peu dire sur l'allure du bébé... Oh là là! Douloureux souvenir. Malaise flagrant. Ma collègue m'a sauvée - cela prouve ma juste opinion sur l'enfant, quand même!- ; elle ne trouvait pas de mot pour parler convenablement de l'enfant. On n'est toujours pas pour lui dire "bonne chance" et lui souhaiter que le temps améliore les choses.
Mais reste que ces deux expériences troublantes sont venues me hanter lorsque j'ai apprise que j'étais enceinte. Si à mon premier bébé, je ne souhaitais qu'un bébé en santé. Là, j'ai secrètement prié pour qu'il soit en santé et qu'il ne soit pas laid.J'ai passé neuf mois à angoisser sur la possible laideur de mon bébé. Sait-on jamais? On aurait pu me faire payer les mauvais commentaires passés. Peut-être qu'on ne sait pas que notre bébé est laid? Peut-être que le post-partum affecte notre vue et notre jugement. En tout cas, j'ai choisi avec soin et après au moins 12 regards extérieurs la photo envoyée dans mes cartes de remerciement, j'ai mis mon droit de regard sur celle que les grands-parents ont envoyé au journal et j'ai tendu l'oreille autour de moi quand je promenais JeuneHomme pour entendre si des gens louangeaient ses bébelles ou son hochet. Juste au cas...