vendredi 15 juin 2012

Cultiver la peur

J'ai déjà entendu dire qu'avec l'accouchement venait aussi à nous... la peur!

On a peur de ne pas être une bonne mère.
On a peur de ne pas en faire assez.
On a peur de ne pas faire la bonne chose.
On a peur d'en faire trop.
On a peur qu'il arrive quelque chose à notre enfant.

Cette dernière peur est universelle à tous les parents, je crois. On a peur pour nos enfants. Peur qu'ils tombent, qu'ils se fassent mal, qu'ils n'aient pas d'amis, qu'ils aient de bons amis, qu'ils soient malades, qu'ils soient tristes, qu'ils se fassent attaquer/taxer/kidnapper/niaiser/etc.

On a peur tout le temps.

Une de nos premières jobs comme parents: stopper cette peur. Avoir confiance. Les laisser aller. C'est tellement difficile en même temps. Par exemple, une journée de sorties scolaires, par exemple, au Fort Chambly, on les laisse aller. On leur dit «au revoir» en leur énumérant tout le fun qu'ils auront. Mais toute la journée, on se surprend à tendre l'oreille si on entent dans une même phrase au bulletin d'infos à la radio "accident" et "autobus scolaire". On frémit. J'y pense avant même d'entendre le bulletin d'infos.

Au parc, quand JeuneHomme grimpe derrière sa soeur dans les modules faits de cordes, s'imaginant SpiderMan, je respire de travers. Puis, il m'envoie la main du haut et... je respire toujours aussi mal en essayant de sourire. MissLulus, envers et contre tous, est une championne de l'escalade. Agile comme dix, elle n'a peur d'aucune structure. Des sensations extrêmes: pas de problème. Moi au sol, tout en criant des encouragements je m'automutile en serrant mes ongles dans le creux de ma main. Je suffoque, j'ai chaud, je tremble, tout en étant méga fière d'elle et en ne lui montrant rien de cela!

Les enfants ne connaissent la peur que si on leur enseigne. Je suis consciente qu'il y a des peurs nécessaires. Ça ressemble plus à de la prudence, comme la sécurité routière et des règles comme ne jamais suivre un étranger. Mais les autres peurs, surtout celles dont on n'a aucune emprise, je ne veux pas les voir s'infiltrer en eux (Excellent texte ici sur la peur qui ne rend pas plus prudent!) Je souhaite aussi que mes enfants aient confiance en eux à tel point qu'ils essaient des choses et qu'ils ne se contentent pas de rester dans leur zone de confort.  Et peu importe ma peur à moi. Je n'ai pas le droit de les empêcher d'essayer, même au risque de se tromper. MissLulus a voulu essayer Le Monstre l'an passé à La Ronde. Elle l'a fait. Je l'ai accompagné. Résultat: elle a eu peur, c'est vrai. Mais elle n'a pas eu peur de le faire. C'est la différence.

Reste que vivre avec la peur n'est pas un apprentissage facile. Mais c'est un bagage que je ne veux pas leur transmettre. Je vais le garder pour moi.


 

3 commentaires:

Michèle a dit…

Moi, je changerais le mot peur pour culpabilité...c'est plus ça qui me définit depuis que j'ai mes enfants...!!! Le bouton culpabilité à "on" souvent!!! ;)

Sophie M.M. a dit…

oui tellement vrai! moi aussi, je travaille fort à ne pas leur transmettre mes peurs. Je me dis souvent que ça ne leur appartient pas et il faut faire attention de ne pas leur inventer des peurs qu'ils n'ont pas. Déjà gérer celles qu'ils ont c'est suffisant!

Pépine a dit…

Un texte qui date mais qui est toujours d'actualité...

Journal d'une mère prise de vertige

C'est samedi. C'est hier. C'est un jour gris et tristounet d'automne en famille. Lou et Gabrielle sont en feu et avant le déjeuner, l'Homme s'est déjà écorché la voix pour leur rappeler que ce sont les parents qui décident. Pour une raison qui m'échappe, elles ne font que se battre et se bousculer. L'Homme, inspiré, propose d'aller dépenser l’énergie des enfants dans la forêt.

Puisque nous habitons la campagne, la forêt est de l'autre côté de la route, ce qui en fait le terrain de jeu le plus généreux et accessible qui soit. Les filles peuvent donc crier tout leur saoul, je m'en fous. Elles courent dans les sentiers, hument les feuilles pourries, découvrent une crotte de kinkajou là où il n'y a que des renards, des lièvres et des perdrix.

Au bout du sentier se trouve un pic de sable impressionnant qu'il est possible de contourner sur le côté pour descendre s'ébattre une trentaine de mètres plus bas, ce que l'Homme et Lou s'empressent de faire. Je m'assois avec Gabrielle près de la ligne de faîte. Juste assez près pour dominer la course de mon aînée sans avoir le vertige. Ce n'est pas seulement haut, c'est presqu'à angle droit avec le sol.

Jamais il ne me viendrait à l'esprit de tenter la remontée autrement qu'en empruntant le même contournement qu'à la descente. Pas l'Homme. Lou et lui souhaitent grimper le mur de sable. Lou, on s'en souvient, se barre les pieds dans les fleurs du tapis, comme dit mon père et tombe de sa chaise un repas sur deux. J'ai tellement envie de crier que ce n'est pas une bonne idée que je dois me faire violence pour me taire. Je dois l'admettre, c'est une bonne idée. Un beau défi. Une belle occasion de réaliser un exploit singulier. Je reste donc assise au sommet, silencieuse et rongée d'inquiétude. Gabrielle, n'a de cesse d'exclamer son étonnement: « C'est fou, hein, maman! Ils "climbent" comme des jaguars! (Nous devons absolument cesser d'écouter Dora et Diégo.) Il faudrait pas que Lou tombe, hein, maman... Elle se ferait vraiment mal... elle pourrait-tu mourir? »

Et Lou escalade la falaise. À quatre pattes, maladroite et ravie. L'Homme pose ses mains derrière chacun de ses pas pour lui permettre de prendre appui. L'ascension semble interminable et je n'ai que des scénarios de catastrophes imminentes en tête. Lou prend plaisir à défier la nature et arbore son plus beau sourire. Quelques mètres avant d'atteindre le point culminant, l'Homme semble freiné dans sa progression. Là où il pose ses pieds, le poids de son corps emporte le sable et il stagne au même endroit tandis que Lou (et ses vingt kilos) grimpe seule. Je ne respire plus et Gabrielle en rajoute: « Ça s'rait con, hein maman, que Lou tombe... elle est presqu'arrivée! »

Quelques minutes plus tard, quelques minutes qui m'ont semblé une éternité, je ne vous apprends rien, Lou, grisée d'adrénaline, secoue le sable de ses cheveux. Elle est fatiguée et fière. Ses joues sont rouges. Je la trouve belle et je pense à toutes les fois où je devrai me taire pour qu'elle se dépasse. Heureusement, je ne suis pas seule. Avec l'Homme près de moi,taire pour qu'elle se dépasse. Heureusement, je ne suis pas seule. Avec l'Homme près de moi, il y aura toujours quelqu'un pour pousser les enfants vers l'inconnu. Ce n'est pas mon dernier vertige. Je le sais.

Pépine sur un fil